Des nombreux médias algériens ont rapporté, de sources officieuses, la fouille de plusieurs ministres algériens à l'aéroport d'Orly par le agents de la PAF. Ces informations n'ont été ni démenties, ni confirmées par les autorités concernées des deux pays. Ce qui laisse une large place aux analyses et parfois aux affabulations.
Il est en effet étonnant qu'au regard des relations actuelles des deux pays, superficiellement apaisées, après le voyage de plusieurs ministres français en Algérie, et de François Hollande lui même, que de simples agents fouillent et humilient des ministres (passant par le pavillon d'honneur) pendant que les passagers ordinaires voyagent sans difficultés.
Le journal électronique en ligne TSA a posé la question à une ancienne policière à l’aéroport d'Orly, pour savoir si l'on pouvait fouiller un détenteur d'un passeport diplomatique. Cette dernière répond que "Non car le ministre doit passer par le pavillon d’honneur. S’ils savaient que c’était un ministre et qu’ils l’ont fouillé, ce n’est pas normal." Ce même journal rapporte, en cours de rédaction de cet article, l'information selon laquelle l’ambassadeur de France à Alger est convoqué par le Ministère algérien des affaires étrangères.
Mais la réponse n'est pas aussi facile qu'elle en a l'air. En effet, il n'existe aucune législation sur les passeports diplomatiques portés par les non-diplomates et encore moins par leurs familles.
On peut définir ce document; le passeport diplomatique comme un passeport spécial dont la délivrance repose sur des règles propres à chaque État, permettant d'entrer sans visa dans un pays étranger, pour des séjours limités.
A ce titre, la distinction s'impose entre le passeport d'un diplomate en fonction ou en mission dans un pays l'ayant accrédité (accepté); une situation régie par les conventions de Viennes de 1961 et de 1963 (portant immunité diplomatique) et ceux portant un passeport diplomatique mais ne bénéficiant pas d'immunité. Il s'agit d'une situation régie par les législations internes et souvent par des accords bilatéraux. S'agissant des détenteurs de passeports diplomatiques français et algériens, c'est l'accord signé à Alger le 10 juillet 2007 relatif à l'exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d'un passeport diplomatique, qui s'applique.
Cet accord porte uniquement sur l'exemption de visa d' entrée et la durée des séjours que permet le passeport diplomatique pour les ressortissants algériens en France et les ressortissants français en Algérie; c'est le cas des hauts fonctionnaires; donc des ministres...Etc.
Les autres porteurs d'un passeport diplomatique sont ceux " affectés dans une mission diplomatique ou un poste consulaire ou au siège d'une organisation internationale situés sur le territoire de l'autre partie, ainsi que les membres de leur famille titulaires de passeports diplomatique" cette catégorie de détenteurs, doivent obtenir un visa pour pénétrer sur le territoire français, prévoit le même article 3 de l'accord précité.
Cet accord qui régit donc l'entrée sans visa en France ou en Algérie de la première catégorie de détenteurs (dont les ministres), n’accorde aucune immunité particulière lors de l'entrée en France, l'on peut donc imaginer que les conditions des fouilles à corps et des biens reposent sur le régime de droit commun. Quant à la deuxième catégorie, ce sont les conventions de Vienne qui en prévoient les modalités et ce n'est pas le sujet abordé ici.
La délivrance des passeports diplomatiques repose uniquement sur le droit interne, chaque pays en fixe le conditions, c'est donc un système de délivrance opaque, pouvant permettre à n'importe qu'elle personne (dangereuse soit-elle) de détenir ce passeport (délivré en passe droit par exemple). A ce sujet, Marie-Caroline Caillet, juriste ayant écrit sur la question nous dira que " Si aucune règle internationale n’est venue normaliser les conditions de délivrance des passeports diplomatiques, c’est bien parce que le fondement de l’immunité ne se trouve pas dans le document lui-même mais dans la fonction exercée par son titulaire (...)"
Elle ajoute "Le passeport est délivré par les autorités de l’État de la nationalité du demandeur et les visas par les autorités du pays où l’on désire se rendre. Aucune règle internationale ne régit donc les conditions d’octroi du passeport diplomatique et aucune coutume non plus ne donne le bénéfice de l’immunité de juridiction ou d’exécution à la seule détention d’un tel passeport."
En revanche, si le ministre voyage dans le cadre de l'accomplissement de sa mission (ou de ses fonctions), en tant qu'agent diplomatique, il devrait bénéficier de l'immunité conférée par sa qualité et non pas par son passeport.
Dans le cadre d'un voyage privé, les règles de bienséance; une sorte de respect diplomatique mutuel, font que les personnalités étatiques importantes ne font pas l'objet de fouilles à l'entrée des aéroports français. C'est ce qu'avait d'ailleurs rappelé le porte parole du ministère français des affaires étrangères à propos du ministre marocain fouillé à l'aéroport de Roissy au mois de mars 2014, "pour faire respecter strictement dans les aéroports français les règles et usages diplomatiques s'appliquant aux ministres des Affaires étrangères comme aux chefs d’État et de gouvernement", dit-il.
Mais là, il parle uniquement des ministres des affaires étrangères, des chefs d'État et des chefs de gouvernements. Les ministres algériens contrôlés n'appartiennent pas à cette catégorie ! Peuvent-t-ils alors être fouillés?
Par Boualem KACHI
Doctorant en droit public à l'université Paris 13
administrateur du blog Immigrer.Info
Cet article est écrit uniquement à titre d'information juridique et ne doit aucunement être considéré comme une consultation personnalisée.
Références :
- Conventions de Vienne de 1961 et 1963
- Décret n° 2008-844 du 25 août 2008 portant publication de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à l'exemption réciproque de visas de court séjour pour les titulaires d'un passeport diplomatique, signé à Alger le 10 juillet 2007
- Info Europe1 du 28 mars 2014 http://www.europe1.fr/international/incident-diplomatique-un-ministre-marocain-fouille-a-l-aeroport-de-roissy-1928279
- Marie-Caroline Caillet, Juriste - Sherpa : Le passeport diplomatique et les immunités : Un fantasme juridiqu, novembre 2007