Algérie-Union Européenne "les négociations ne se feront pas en position de force vu notre situation économique"

L’Algérie demande officiellement la révision de l’Accord d’association avec l’UE, une demande entérinée lors du dernier Conseil des ministres, confirmée, hier, par le ministre des Affaires étrangères qui réclame une refonte de fond en comble de cette convention. Quelle lecture en faites-vous ?
L’Accord d’association, qui date de 2002 mais n’est entré en vigueur qu’en 2005, donne l’impression, à sa lecture intégrale, qu’il a été dicté entièrement par la partie européenne ; l’Algérie n’ayant à la date de sa négociation d’autre souci que l’établissement d’une courroie de transmission avec les Européens, en vue de redonner au pays un autre statut que celui de quasi-paria auquel il a été soumis dix ans durant.
En contrepartie, l’Union européenne en a profité pour établir un accord de libre-échange dans la plénitude de ce concept.
Il est évident que la partie algérienne n’a jamais anticipé les effets à long terme de la mise en œuvre de cet Accord, tant sur ses recettes fiscales que sur la balance des paiements qui était excédentaire à cette époque, d’où le raisonnement à courte vue qui caractérise notre gouvernance. Avec la hausse du dollar par rapport à la monnaie européenne et la chute drastique tant des exportations que des recettes fiscales algériennes — qui, il faut encore le répéter, sont constituées à 50% des recettes douanières dont la TVA sur les importations — il est évident que plusieurs facteurs aggravants ont fait intrusion dans la logique algérienne, jusque-là anesthésiée par les recettes pétrolières.
En effet, avec un différentiel entre le dollar et l’euro ramené à 10% de la valeur du dollar, les taux actuellement appliqués aux produits européens exercent un effet magnétique pour les importateurs vers cette zone sous-taxée et, par la même occasion, pour la surfacturation des importations qui, vu les taux de taxes extrêmement bas par rapport au reste du monde, auraient, dès 2017, tari aussi bien les réserves de change que les recettes douanières dans un délai maximal de 3 ans.
Nous nous retrouvons donc dans une situation prévue par l’Accord d’association, dans son article 11, qui permet des dérogations pour cas de force majeure dans certains secteurs, mais qui ne peut être gérée en dehors des délais prévus à l’article 6 qui considère la date butoir de 12 ans comme le seul cadre dans lequel ces dérogations peuvent être discutées pour une durée de 5 ans et des produits et secteurs limités. Il devient, de ce fait, impératif pour l’Etat algérien de renégocier cet Accord sous peine d’hémorragie financière et fiscale, mais il est impossible de le renégocier sans le rendre caduc de facto ; le mieux étant de demander la renégociation d’un autre accord qui annule intégralement celui-ci.
- Le volet économique de l’Accord d’association a été depuis toujours sujet à polémique. Qu’est-ce qui dérange exactement ?
Cet Accord, comme tout accord de libre-échange, donne un avantage certain à la partie productrice de biens et services, l’autre partie étant tenue de digérer passivement les produits de la première. Ce genre d’accord se négocie entre deux parties d’égales capacités d’exportation ou au moins de capacités compensatoires entre produits, mais jamais entre une puissance industrielle et une entité qui veut voir émerger chez elle des capacités de production qu’elle n’a pas encore. La mise en œuvre de cet Accord a encore enfoncé les chances du pays de promouvoir un tissu productif, l’importation de biens et de services devenant de facto plus rentable et plus attrayante pour les capitaux privés disponibles à son entrée en vigueur et qui se sont encore multipliés grâce à lui.
Le volet relatif à l’aide européenne à l’émergence d’un tissu productif national, énoncé en termes vagues, ainsi que celui relatif aux investissements productifs des deux parties sur les deux territoires ont subi le contrecoup d’une démarche économique erratique chez nous et les effets pervers d’une législation improvisée et sans objectif de fin, dont l’apogée a été la fameuse loi de finances «patriotique» de 2009 qui remet en cause non seulement le volet investissement de cet Accord, mais maintient tous les autres avantages aux fournisseurs de services et autres bureaux de liaison implantés en vertu de ce même Accord.
Nous nous sommes retrouvés avec tous les inconvénients de l’Accord sur le dos et la neutralisation des rares avantages dans le domaine investissement, ce que les Européens n’ont pas relevé à temps, considérant que tant que leurs produits peuvent se vendre, il n’est pas utile de revenir sur des dispositions qui les engagent en fait, mais sont sabordées par la partie théoriquement bénéficiaire.
- Quels sont les articles qui ont fait subir à l’Algérie de grosses pertes dans son partenariat avec l’Union européenne ?
Il n’y a jamais eu une projection claire d’un éventuel partenariat avec la communauté européenne. Tous les articles relatifs à la coopération dans tous les domaines sont flous et ne renvoient à aucun engagement précis de leur part. Ceux relatifs à l’investissement ont été neutralisés par nos propres capitaux orientés vers l’importation et nos propres bureaucrates, grands ennemis de tout ce qui est durable en soi.
Et ceci pour le grand bonheur des industriels européens qui ont trouvé un justificatif chez nous à un penchant chez eux. Les quatre protocoles précisant la nature des produits ainsi que les délais d’abattement des droits et taxes à l’importation sont, de fait, l’essentiel du corpus et de l’objet de l’Accord dans l’esprit des Européens dès le départ. Or, ces quatre protocoles renvoient à l’essentiel des produits existant dans la nomenclature de Bruxelles d’où est tiré notre tarif douanier.
Si nous continuons sur cet engagement, malgré la petite concession de trois ans admise par l’UE pour le démantèlement définitif, les produits de l’UE seront admis en Algérie sans aucun droit de douane et on deviendra un véritable free shop, certains produits étant déjà passés à la case zéro droits, étant inclus dans un protocole qui ne prévoyait que sept ans de délai pour le démantèlement total. Pour certains produits, le démantèlement s’est fait le jour de l’entrée en vigueur de l’Accord. Dans la conjoncture actuelle, tout l’Accord d’association dérange et même nuit.
- Dans les nouvelles négociations que veut engager l’Algérie pour la réforme de cet Accord, quelles sont les conditions et priorités qui doivent être posées au partenaire européen pour éviter un remake du scénario ?
En l’état actuel des choses, les négociations ne se feront pas en position de force vu notre situation économique et l’environnement géopolitique. Les seules conditions que pourra poser la partie algérienne seront la réactivation du volet investissement et assistance technique, comme compensation à l’augmentation des importations et au manque à gagner du Trésor, tout en renégociant non pas les délais, mais les listes au cas par cas, avec une mise à niveau de tous les produits à 60% de taux d’abattement par rapport au taux normal.
Pour cela, il faut déjà que notre intention d’investir sérieusement dépasse le cadre des déclarations politiques et des kermesses de circonstances, et passent à la refonte de tous les textes «investicides» élaboré à ce jour, ainsi que la mise au pas des fonctionnaires, dont la vocation première est de casser l’envie même de faire quelque chose d’utile en Algérie.
Mais en l’état actuel des choses, je doute que les Européens soient enclins à faire la moindre concession, tout en maintenant le vocable d’«association» dans cet Accord et de la capacité de notre système politico-administratif à appréhender la catastrophe qui s’annonce dans sa vraie dimension. La seule solution qui reste étant une dénonciation pure et simple du volet commercial de cet Accord et la renégociation d’accords de bon voisinage politiques, juridiques et culturels.



Ali Titouche 
Pour El Watan

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Diaspora Kabyle: Algérie-Union Européenne "les négociations ne se feront pas en position de force vu notre situation économique"
Algérie-Union Européenne "les négociations ne se feront pas en position de force vu notre situation économique"
L’Algérie demande officiellement la révision de l’Accord d’association avec l’UE, une demande entérinée lors du dernier Conseil des ministres, confirmée, hier, par le ministre des Affaires étrangères qui réclame une refonte de fond en comble de cette convention. Quelle lecture en faites-vous ? L’Accord d’association, qui date de 2002 mais n’est entré en vigueur qu’en 2005, donne l’impression, à sa lecture intégrale, qu’il a été dicté entièrement par la partie européenne ; l’Algérie n’ayant à la date de sa négociation d’autre souci que l’établissement d’une courroie de transmission avec les Européens, en vue de redonner au pays un autre statut que celui de quasi-paria auquel il a été soumis dix ans durant. En contrepartie, l’Union européenne en a profité pour établir un accord de libre-échange dans la plénitude de ce concept. Il est évident que la partie algérienne n’a jamais anticipé les effets à long terme de la mise en œuvre de cet Accord, tant sur ses recettes fiscales que sur la balance des paiements qui était excédentaire à cette époque, d’où le raisonnement à courte vue qui caractérise notre gouvernance. Avec la hausse du dollar par rapport à la monnaie européenne et la chute drastique tant des exportations que des recettes fiscales algériennes — qui, il faut encore le répéter, sont constituées à 50% des recettes douanières dont la TVA sur les importations — il est évident que plusieurs facteurs aggravants ont fait intrusion dans la logique algérienne, jusque-là anesthésiée par les recettes pétrolières. En effet, avec un différentiel entre le dollar et l’euro ramené à 10% de la valeur du dollar, les taux actuellement appliqués aux produits européens exercent un effet magnétique pour les importateurs vers cette zone sous-taxée et, par la même occasion, pour la surfacturation des importations qui, vu les taux de taxes extrêmement bas par rapport au reste du monde, auraient, dès 2017, tari aussi bien les réserves de change que les recettes douanières dans un délai maximal de 3 ans. Nous nous retrouvons donc dans une situation prévue par l’Accord d’association, dans son article 11, qui permet des dérogations pour cas de force majeure dans certains secteurs, mais qui ne peut être gérée en dehors des délais prévus à l’article 6 qui considère la date butoir de 12 ans comme le seul cadre dans lequel ces dérogations peuvent être discutées pour une durée de 5 ans et des produits et secteurs limités. Il devient, de ce fait, impératif pour l’Etat algérien de renégocier cet Accord sous peine d’hémorragie financière et fiscale, mais il est impossible de le renégocier sans le rendre caduc de facto ; le mieux étant de demander la renégociation d’un autre accord qui annule intégralement celui-ci. - Le volet économique de l’Accord d’association a été depuis toujours sujet à polémique. Qu’est-ce qui dérange exactement ? Cet Accord, comme tout accord de libre-échange, donne un avantage certain à la partie productrice de biens et services, l’autre partie étant tenue de digérer passivement les produits de la première. Ce genre d’accord se négocie entre deux parties d’égales capacités d’exportation ou au moins de capacités compensatoires entre produits, mais jamais entre une puissance industrielle et une entité qui veut voir émerger chez elle des capacités de production qu’elle n’a pas encore. La mise en œuvre de cet Accord a encore enfoncé les chances du pays de promouvoir un tissu productif, l’importation de biens et de services devenant de facto plus rentable et plus attrayante pour les capitaux privés disponibles à son entrée en vigueur et qui se sont encore multipliés grâce à lui. Le volet relatif à l’aide européenne à l’émergence d’un tissu productif national, énoncé en termes vagues, ainsi que celui relatif aux investissements productifs des deux parties sur les deux territoires ont subi le contrecoup d’une démarche économique erratique chez nous et les effets pervers d’une législation improvisée et sans objectif de fin, dont l’apogée a été la fameuse loi de finances «patriotique» de 2009 qui remet en cause non seulement le volet investissement de cet Accord, mais maintient tous les autres avantages aux fournisseurs de services et autres bureaux de liaison implantés en vertu de ce même Accord. Nous nous sommes retrouvés avec tous les inconvénients de l’Accord sur le dos et la neutralisation des rares avantages dans le domaine investissement, ce que les Européens n’ont pas relevé à temps, considérant que tant que leurs produits peuvent se vendre, il n’est pas utile de revenir sur des dispositions qui les engagent en fait, mais sont sabordées par la partie théoriquement bénéficiaire. - Quels sont les articles qui ont fait subir à l’Algérie de grosses pertes dans son partenariat avec l’Union européenne ? Il n’y a jamais eu une projection claire d’un éventuel partenariat avec la communauté européenne. Tous les articles relatifs à la coopération dans tous les domaines sont flous et ne renvoient à aucun engagement précis de leur part. Ceux relatifs à l’investissement ont été neutralisés par nos propres capitaux orientés vers l’importation et nos propres bureaucrates, grands ennemis de tout ce qui est durable en soi. Et ceci pour le grand bonheur des industriels européens qui ont trouvé un justificatif chez nous à un penchant chez eux. Les quatre protocoles précisant la nature des produits ainsi que les délais d’abattement des droits et taxes à l’importation sont, de fait, l’essentiel du corpus et de l’objet de l’Accord dans l’esprit des Européens dès le départ. Or, ces quatre protocoles renvoient à l’essentiel des produits existant dans la nomenclature de Bruxelles d’où est tiré notre tarif douanier. Si nous continuons sur cet engagement, malgré la petite concession de trois ans admise par l’UE pour le démantèlement définitif, les produits de l’UE seront admis en Algérie sans aucun droit de douane et on deviendra un véritable free shop, certains produits étant déjà passés à la case zéro droits, étant inclus dans un protocole qui ne prévoyait que sept ans de délai pour le démantèlement total. Pour certains produits, le démantèlement s’est fait le jour de l’entrée en vigueur de l’Accord. Dans la conjoncture actuelle, tout l’Accord d’association dérange et même nuit. - Dans les nouvelles négociations que veut engager l’Algérie pour la réforme de cet Accord, quelles sont les conditions et priorités qui doivent être posées au partenaire européen pour éviter un remake du scénario ? En l’état actuel des choses, les négociations ne se feront pas en position de force vu notre situation économique et l’environnement géopolitique. Les seules conditions que pourra poser la partie algérienne seront la réactivation du volet investissement et assistance technique, comme compensation à l’augmentation des importations et au manque à gagner du Trésor, tout en renégociant non pas les délais, mais les listes au cas par cas, avec une mise à niveau de tous les produits à 60% de taux d’abattement par rapport au taux normal. Pour cela, il faut déjà que notre intention d’investir sérieusement dépasse le cadre des déclarations politiques et des kermesses de circonstances, et passent à la refonte de tous les textes «investicides» élaboré à ce jour, ainsi que la mise au pas des fonctionnaires, dont la vocation première est de casser l’envie même de faire quelque chose d’utile en Algérie. Mais en l’état actuel des choses, je doute que les Européens soient enclins à faire la moindre concession, tout en maintenant le vocable d’«association» dans cet Accord et de la capacité de notre système politico-administratif à appréhender la catastrophe qui s’annonce dans sa vraie dimension. La seule solution qui reste étant une dénonciation pure et simple du volet commercial de cet Accord et la renégociation d’accords de bon voisinage politiques, juridiques et culturels.
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